Réponse à l'Express

Réponse à l'Express pour son article accusatoire du 2 juillet 2023 visant le média Reporterre.

L’Express a consacré pas moins de deux pages à Reporterre, média en ligne, sans actionnaire ni publicité, qui a publié depuis 2013 plus de 20.000 articles, enquêtes, reportages et tribunes, alimentant le débat public sur les enjeux écologiques. Les accusations de L’Express manifestent une volonté de nuire au « média de référence de l’écologie », selon l’expression même de l’hebdomadaire. Nous allons reprendre point par point ses allégations.


L’Express s’en prend à une tribune qui appelait à des négociations avec la Russie dans le cadre du conflit avec l'Ukraine. Ce point de vue est partagé par de nombreux experts étrangers, et la négociation avec la Russie est envisagée par l’Ukraine elle-même, comme le rapporte le Washington Post CIA director, on secret trip to Ukraine, hears plan for war’s endgame », 30 juin 2023).


Le journal critique ensuite une enquête sur les appareillages plastiques des bébés prématurés (« Les bébés prématurés victimes fragiles des perturbateurs endocriniens », 3 juin 2023). En fait, une expression malheureuse est l’objet de la critique, cette phrase ayant été modifiée rapidement et nos lecteurs en ayant été informés. Cela ne remet pas en cause les faits exposés dans notre article, qui s’appuie sur une étude scientifique et sur l’expertise de Valérie Sautou, de l’Université Clermont-Auvergne et membre de la Société française de pharmacie clinique. Il s’avère que le DEHP, un plastifiant de la famille des phtalates, est toxique pour les bébés prématurés qui y sont exposés. Du fait de l’immaturité de leur système de détoxification, il existe « des risques d’accumulation dans l’organisme » à un moment où les organes sont en plein développement, a averti la chercheuse. Le DEHP devrait avoir disparu de cet usage depuis 2012, ce qui n’est pas le cas, comme l’a constaté l’Agence nationale de sécurité du médicament. Il y a bien là un enjeu de santé publique important.


L’article laisse ensuite entendre que Reporterre serait « antiscience » - alors que Reporterre consacre, avec des journalistes scientifiques, de très nombreux articles visant à faire connaître les avancées dans ce domaine (https://reporterre.net/Sciences). L’Express prend à titre d’exemple d’ « antiscience » une tribune intitulée « La médecine doit soigner son addiction à la technologie » du 4 mai 2023 de Frédéric Prat, gastro-entérologue et chef de service à l’hôpital public Beaujon. S’appuyant sur des études du journal médical The Lancet et de l’organisation de Jean-Marc Jancovici, The Shift Project, le professeur souligne que le secteur médical, comme tous les autres domaines d’activité, doit analyser son impact environnemental. En quoi serait-ce là de l’antiscience ?


La journaliste affirme ensuite que Reporterre aurait « un corpus de contenus favorables aux médecines douces ». Une accusation bien étrange quand on lit dans L’Express dans un article intitulé « Les mystères de l'effet placebo » du 5 décembre 2018, que « Contrairement à une idée très répandue, le fameux "effet placebo" - le seul que les études sérieuses reconnaissent à l'homéopathie - n'est pas synonyme d'absence d'effets. Loin de là, même. Certes, techniquement, un placebo est un comprimé dépourvu de tout principe actif. Rien de plus que du sucre ou de la farine agglomérés. Mais les médecins savent depuis l'Antiquité que le simple fait de prescrire à un patient un traitement, même en réalité totalement inerte, peut déjà contribuer à améliorer son état ».

L’Express cite ensuite une enquête du 24 mars 2022 de Reporterre sur l’Artemisia, une piste de recherche de traitement du Covid : comme le relatait notre article, l’Anses et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ont émis un avis négatif sur son usage en automédication, tandis que l’OMS, dans un article du 4 mai 2020, soulignait son intérêt, comme d’autres plantes, sous réserve d’études scientifiques plus poussées. C’était le sens de l’article, qui analysait la difficulté des chercheurs concernés à obtenir des financements. L’Express ne trouve rien de condamnable dans notre enquête, mais semble dire qu’il n’aurait pas fallu la mener. Au nom de quoi ?


On tente de nous présenter comme hanté par le spectre du conspirationnisme. Nous aurions ainsi eu le tort d’interviewer le professeur de droit Guillaume Zambrano - qui, un an plus tard, a participé à une « université d’été résistante ». Nous devons reconnaître que nous n’avons pas le talent de prévoir comment vont évoluer les personnes que nous interrogeons. Pour rappel, L’Express a aussi pu se tromper : l’hebdomadaire a consacré sa couverture et pas moins de six pages (!) à Didier Raoult en 2020, contribuant ainsi à la propagation de théories douteuses sur le Covid. De même, L’Express a longtemps hébergé comme chroniqueur Claude Allègre, le laissant exprimer son climato-scepticisme le 21 septembre 2006, dans sa chronique intitulée ce jour-là « Les neiges du Kilimandjaro ».


Cette enquête fait ensuite appel à Philippe Corcuff, qui prétend que nous « développerions » le confusionnisme. Confusion entre quoi et quoi ? Voilà qui n’est pas dit. Cela n’empêche pas M. Corcuff de parler de « critique conspirationniste  (de méchants riches aux intentions cachées qui manipuleraient dans l’ombre) ». Soyons clair : rien n’est caché. Et comme Hervé Kempf, directeur de la rédaction, l’a répété dans moult interviews, Reporterre est né en 2007 sur internet en accompagnement de son livre Comment les riches détruisent la planète, vendu à plus de 75.000 exemplaires et, traduit en douze langues. Ce livre ne développe aucune théorie du complot, mais démontre l’articulation entre la question écologique et la question sociale – une articulation devenue maintenant un lieu commun dans le mouvement écologiste et dans la gauche. M. Corcuff se désole ensuite que nous ayons écrit une recension positive du Manifeste conspirationniste dans un article du 22 janvier 2022. Reporterre n’a pas porté ce livre au pinacle, comme il le sous-entend : nous parlions d’une « thèse inaboutie », tout en le saluant comme un « tourbillon remuant l’air intellectuel tétanisé », ce que nous maintenons. De même, Mediapart a recensé longuement ce livre, observant que « l’ouvrage nous oblige à ne pas esquiver certaines questions politiques nécessaires » (« Conspirationnisme : un manifeste qui allume la mauvaise mèche », 27 janvier 2022).


Cet article à charge s’achève par la mention de trois articles, rapidement enlevés, et qui datent d’une époque où Reporterre était un petit site amateur. C’est bien après, en 2013, que le média de l’écologie a été lancé dans une logique professionnelle, lorsque Hervé Kempf a quitté Le Monde, où il avait contribué pendant quinze ans à porter l’information sur l’écologie dans le débat public. Mais puisque l’on atteint avec cet article un sommet d’insinuations, il faut préciser que ni Hervé Kempf ni quiconque à Reporterre n’a jamais douté de la réalité des attentats du 11 septembre 2001, et que Hervé Kempf a même contribué à démonter les thèses de Thierry Messan en publiant une enquête le 21 mars 2002 dans Le Monde titrée « Un avion a bel et bien frappé le Pentagone ».

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